Le second voyage de Charles Antoine sur la Sibylle – 1864-65 – Introduction et Historique

Introduction

Un deuxième journal de voyage a été retranscrit par Christophe Antoine, cousin de Loïc. Plus long que le premier, il ne sera pas intégralement publié ici car le trajet est similaire à celui du premier voyage. Loïc et moi en extrairons les passages les plus marquants, autant sur le plan de la navigation, que sur celui des anecdotes et analyses de l’époque. Comme pour le premier voyage, une grande partie des notes de bas de page sont dues à Jean Carrière, également cousin des Antoine. L’article d’aujourd’hui reprend l’historique de la frégate, témoin des événements liés à 30 ans de colonisation européenne, entre 1850 et 1880.

Historique de la Frégate la « Sibylle » [1].

Les premières missions du navire

Le 8 avril 1851 armement sous les ordres du Capitaine de frégate Fisquet [2]. Le 30 juillet 1851 la « Sibylle » est à Fort-de-France, où une épidémie de fièvre jaune se déclare à bord en novembre. Le 27 décembre 1851 elle effectue sous les ordres du Capitaine de vaisseau Bermond [3],  le transport de Fort-de-France à Saint-Pierre de l’Amiral Vaillant [4], gouverneur. Le 15 janvier 1853 elle est de nouveau à Fort-de-France, puis est désarmée à Brest le 9 septembre 1853.

Le 28 mars 1854, elle appareille de Brest pour les Indes et la Chine, sous les ordres du Capitaine  de  vaisseau  Simonet  de  Maisonneuve [5].  Une  épidémie  de  dysenterie  se  déclenche pendant ce voyage. Les malades sont débarqués dans les îles Moluques, en Indonésie, à Ambon (ou Amboine comme on disait à l’époque). Le nombre de morts s’élève à 75, et en novembre  1856  un  monument  à  leur  mémoire  est  inauguré  sur  place.  En  mai  1855,  la

« Sibylle » est  attendue en Indochine. Une  épidémie  de  scorbut  se  déclenche  alors que  la « Sibylle » se trouve au large de Shangaï. Élie Ricard , originaire du Périgord, entré à l’hôpital militaire de Nagasa le 19 avril, y décède le 2 mai 1856 des suites de cette maladie et du typhus. Il était né à Léguillac-de-l’Auche le 2 août 1830, mais sa famille habitait le hameau voisin de la Font de l’Auche à Poude. Il avait été incorporé en qualité de voltigeur au 11ème régiment de Ligne, au 1er bataillon, sous le matricule 4229. En effet, lors de la Guerre de Crimée, de 1854 à 1856, la France, alliée à l’Angleterre et à l’Empire Ottoman, déclarent la guerre à la Russie le 23 mars 1854. Mais le conflit occasionna des combats aussi bien sur terre, en Crimée, que sur mer, en mer Noire, mais aussi sur la façade pacifique de la Russie. Cela explique la présence de l’Armée d’Orient dans cette région du globe, à cause des intérêts économiques français d’implantation en Asie, dont la Chine et le Japon, qui représentaient également des positions stratégiques pour la Russie. Ainsi, 7 bâtiments, frégates et corvettes à voile dont la « Sibylle », et une corvette à vapeur, patrouillaient en Mer Rouge, océan Indien, mer de Chine, mer du Japon, et autour des Iles de la Sonde. Le traité de paix avait été pourtant été signé le 30 mars 1856 avec la Russie… L’acte de décès [6] d’Élie Ricard est transcrit le 13 juin 1858 sur les registres d’état-civil de la commune de Léguillac-de-l’Auche. Le 10 avril 1857, elle arrive à Bombay, venant du Golfe Persique. Le 20 avril 1857 la « Sibylle » appareille de Bombay à destination de la Réunion, où elle arrive à Saint-Denis le 9 mai, avant de repartir pour la France métropolitaine. Du 17 au 20 mai elle fait escale à Carthagène, puis se dirige vers Cadix, avant d’arriver en France le 13 septembre 1857.

Le 13 juin 1861, elle appareille de Toulon à destination des Antilles. Dans les Annales Hydrographiques figure un extrait du rapport de mer (voir page 1 à 4 en « Annexe » à la fin du  document)  du  Comte  Pouget [7],  commandant  de la  « Sibylle »,  qui  atteste  que le  navire  a quitté Lorient le 17 mars 1862, pour arriver à Simon’s Bay, en Afrique du Sud, le 17 mai suivant. Le 12 novembre 1862, elle appareille de nouveau de Cherbourg à destination du Mexique. Elle effectue le 5ème convoi du 5ème départ de troupes pour l’Expédition du Mexique. Elle transporte 421 hommes de l’Artillerie et de l’Infanterie de Marine, et 6 chevaux. Elle arrive à Vera Cruz le 7 janvier 1863.

1er voyage de Charles Antoine sur la « ‘Sibylle »

Le 1er mars 1863, la « Sibylle » quitte Brest sous les ordres du Comte Pouget, à destination de l’Océanie, faisant escale à Lorient et Palma. On la retrouve ensuite du 9 au 24 mai à Simon’s Bay. Le 21 mai, il y eut une naissance à bord. Le navire fait ensuite escale à Table Bay le 29 mai, d’où elle repart le 4 juin. Après une nouvelle relâche à l’île de la Réunion, la « Sibylle » arrive en Nouvelle-Calédonie le 3 novembre. Elle en repart le 21 pour la Polynésie, et arrive à Papeete le 27 décembre 1863. Le 19 Février 1864, la  « Sibylle » quitte Papeete, et fait une escale à Rio de Janeiro avant de regagner la Métropole.

la Sibylle à Papeete - envoi d'un internaute

Photo de la Sibylle envoyée par un internaute qui atteste que la frégate se trouvait également à Papeete, en Polynésie, en 1869-1870

2ème voyage de Charles Antoine sur la « ‘Sibylle »

Fin 1864, le navire effectue un nouveau voyage. La « Sibylle » quitte en effet Brest le 2 octobre 1864, vers le cap de Bonne espérance. Le but de ce voyage était le transport de troupes de relève pour les colonies de la Réunion, la Nouvelle-Calédonie et Tahiti. Elle transportait en outre un homme politique, allié politique de Clemenceau et franc-maçon comme lui, Georges Perin. Ce dernier a fait un récit de ce voyage, dans un ouvrage préfacé par son ami Clemenceau et publié en 1905.

Dans cet ouvrage, l’auteur organise ses réflexions sur l’observation comparée du  système de colonisation français « d’exploitation des indigènes par des fonctionnaires collecteurs d’impôts », et du système anglais de « peuplement du territoire ». Georges Perin, né le 1er juillet 1838 à Arras (62), décédé le 5 juillet 1903 à Paris, fut préfet de la Haute- Vienne à partir de septembre 1870, puis député extrême-gauche de ce même département de mai 1873 à novembre 1889. Pour ce voyage autour du monde de presque un an, la « Sibylle » est commandée par un autre ami de Georges Perin, le Commandant Mottez [8].

Ce voyage lui permet de faire la connaissance de la reine Pomaré à Tahiti, et d’être l’un des premiers français à traverser la Nouvelle-Calédonie. La « Sibylle » quitte donc Brest le 2 octobre 1864 à midi et prend la route vers les Canaries. Georges Perin est vite gagné par le mal de mer et ses premiers jours en mer sont difficiles : « Le clapotement incessant des flots contre les flancs de la « Sibylle » m’ébranle le cerveau ». Le 15 octobre, le navire fait escale à Las Palmas, aux Canaries, d’où il repart le 18. Le 21 la ligne des Tropiques est passée, et le 24 au soir on aperçoit San-Antonio des îles du Cap-Vert. Puis, du 27 au 31 octobre, c’est le « Pot au noir », c’est à dire le calme plat. Les 7 et 8 novembre, c’est la cérémonie du « passage de la Ligne », l’équateur.

Le 18 novembre à 6h00, l’île de Trinidad est en vue, puis le 24 novembre, « le matin, un navire hisse le pavillon hollandais et télégraphie. Après que nous avons répondu à ses questions, il refuse de donner son nom. Ordre est donné de laisser porter droit sur lui ; il se décide alors à se faire connaître : le Neptune. Il nous passe devant à deux encablures. Il a quelques soldats à son bord, sur l’arrière des gens placides à chapeaux de paille, une femme en tartan anglais. On se regarde avec la curiosité de gens qui n’ont pas vu de visage nouveau depuis cinquante à soixante jours ».

Le 8 décembre à 5h00 on aperçoit la terre, dès dix heures la côte se dessine, puis après avoir doublé le phare de Roman-Rock, et être passé au large de l’Arche de Noé, la « Sibylle » mouille vers 17h30 en rade de False-Bay à Simon’s Town, le port militaire du Cap. Le 18 décembre, le navire quitte Captown vers 7h00, en direction de la Réunion, qui est en vue le 11 janvier 1865, et le 13 vers 8h00 la « Sibylle » mouille devant Saint-Denis.

Le navire appareille le 15 janvier, se trouve par le travers de la Nouvelle-Hollande le 15 février, puis le 1er mars vers 8h00 on aperçoit l’Australie et la « Sibylle » mouille dans la baie de Port-Jackson à proximité du jardin botanique de Sidney. Le 12 mars au matin, le navire appareille de nouveau, après une première tentative échouée la veille.

Le 21 mars au soir, après avoir essuyé un gros orage pendant la traversée, la « Sibylle » mouille en rade de Port-de-France, nom primitif de Nouméa. Le 31 mai 1865, le navire est à Tahiti, d’où il repartira le 22 juin. Le retour s’effectue par le cap Horn, où la navigation y est dure le 15 juillet. Le  cap est doublé le 20 juillet et le tropique est passé le 25 août. La « Sibylle » fait son retour à Brest le 8 septembre 1865.

Missions suivantes de la Sibylle

Le 20 avril 1866 la « Sibylle », sous les ordres du Capitaine de frégate Riou de Kérangal[9], arrive à Saint-Denis à la Réunion, en provenance de France, avec à son bord 200 forçats destinés à la Nouvelle-Calédonie. Elle appareille le 2 mai de Saint-Denis, à destination de Sidney. Le 22 novembre 1867, elle arrive à Nouméa, après s’être arrêtée à Pouébo, sur la côte nord-est de la Nouvelle-Calédonie. Elle appareille ensuite de Nouméa le 30 novembre 1867, à destination de la Cochinchine. Une photo envoyée par un internaute atteste également que la « Sibylle » se trouvait à Papeete, en Polynésie, en 1869-1870 (voir photo plus haut).

Le 23 janvier 1871 elle appareille de Toulon avec un nouveau chargement de 200 forçats, à destination de la Nouvelle-Calédonie, sous les ordres du Capitaine de frégate Sallot des Noyers [10].

En 1872 elle effectue un nouveau voyage vers la Nouvelle-Calédonie, sous les ordres du Commandant  Muret  de  Pagnac [11].  Le  1er  février  1874,  la  « Sibylle »  prend  en  charge  le huitième convoi de déportés de la Commune à destination de la Nouvelle-Calédonie. Mais son  voyage  se  terminera  à  Arzew [12],  en  Algérie,  avant  de  regagner  Toulon,  remplacée  par l’« Alceste »[12].

Le 13 mai 1881, rayée des listes, la « Sibylle » est transformée en ponton-atelier dans le port de Toulon.

[1] Source article : Pour mémoire : La « Sibylle » est une frégate à voile de 2300 tonneaux avec un équipage moyen de 470 hommes (200 en transport), Elle est dite de 24 pour désigner le calibre de son armement principal en livres

[2] Théodore Auguste Fisquet (1813-1890) EN 1829. Capitaine de frégate le 02 avril 1851 – Contre-amiral le 3 août 1867 – passé cadre de réserve en avril 1875.

[3] Hippolyte Bermond (1797-1884) EN 1811. Capitaine de vaisseau le 18 décembre 1848. Ne figure pas dans les effectifs en 1860.

[4]  Auguste Nicolas Vaillant, Vice-amiral. Gouverneur général des Antilles Françaises. Ministre de la Marine. Ministre de la Marine et des Colonies. Né le 2 juillet 1793 – Paris. Décédé le 1er novembre 1858 – Paris. Grand officier de la Légion d’honneur.

[5] Louis Alexandre Amédée Simonet de Maisonneuve (1809-1879) En 1826. Capitaine de vaisseau le 11 juin 1853. Port matriculaire de Toulon. Mention décès dans le Figaro du 5 mai 1879.

[6] Illisible sur la page web en rapport.

[7] Pierre Benjamin Denis, Comte Pouget (1808-1892) EN 1822. Capitaine de frégate le 25 août 1847. 1857, Commandant particulier à Tahiti auprès du Gouverneur, Commissaire impérial aux Iles de la Société. Ne figure plus dans les effectifs de la Marine en 1869. Son grand-père l’Amiral Pierre Martin fut autorisé, par lettres patentes du 16/8/1817, à lui transmettre par héritage son titre héréditaire de comte (Révérend, Familles titrées et anoblies au XIXe; Dictionnaire biographique des généraux et amiraux français de la Révolution et de l’Empire, 1792- 1814).

[8] Adolphe Lucien Mottez (1822-1892) EN 1837. Capitaine de frégate le 5 octobre 1855. Capitaine de vaisseau le 11 août 1865. Contre- amiral le 1er décembre 1877. 1879, Commandant en chef de la Division navale de l’Atlantique Sud. Ces responsabilités le font également Commandant supérieur des Établissements du Gabon. Quitte le service actif le 16 mai 1884.

[9] Alphonse Jean Marie Riou-Kerangal (1820-1884) EN 1836. Capitaine de frégate le 6 décembre 1863. Commande de transport l’« Eure » en 1870. Pas d’informations après…

[10] Alexandre Etienne Denis Sallot des Noyers (1819-1893) EN 1834. Nommé Capitaine de frégate le 16 Août 1862, il est promu officier de la Légion d’honneur le 29 Octobre 1864. Il prend le 15 Septembre 1868 le commandement du transport à hélice « Tarn », affecté à la division navale de Cochinchine. Il est nommé le 22 Novembre 1870 au commandement de la frégate à voile la « Sibylle » par le Gouvernement de la défense nationale replié à Tours à la suite de l’invasion de la France. Il reçoit le 17 Janvier 1871 des instructions pour une circumnavigation destinée à porter des approvisionnements en Océanie et conduire un convoi de forçats au bagne de Nouvelle Calédonie : il s’agît de condamnés de droit commun, les communards n’ayant été déportés qu’à partir de 1872. Il appareille de Toulon le 23 Janvier 1871. Ses ordres de route prévoient le retour par Tahiti, Valparaiso, le Cap Horn et Montevideo ou Sainte-Hélène. Au mouillage de Tahiti le 18 Juillet 1871, il est invité à une fête coutumière donnée par la Reine Pomaré IV qui a, grâce aux efforts du capitaine de vaisseau Abel Aubert Dupetit- Thouars, accepté le protectorat français en 1842. Le Capitaine de vaisseau Alexandre Sallot des Noyers a laissé d’importants travaux hydrographiques et plusieurs volumes d’instructions nautiques publiés par le Dépôt des cartes et plans de la marine: « Le capitaine de vaisseau Alexandre Sallot des Noyers a rédigé ou traduit et mis à jour les instructions nautiques suivantes: “Le pilote de la Manche, côtes Sud et Sud-Ouest de l’Angleterre, du Cap Trevose au North Foreland” (1863), “Le pilote de la Nouvelle-Zélande” (1865), “Les instructions nautiques sur les côtes de Corse” (1865), “Instructions sur les îles et les passages du Grand Archipel d’Asie” (1867), “Mer des Antilles et Golfe du Mexique” (1876). En 1876, il est membre du comité hydrographique présidé par le Vice-amiral Jurien de la Gravière, directeur du Dépôt des cartes et plans de la Marine. »

[11] Léon François Muret de Pagnac (1826-1889) EN 1842. Capitaine de frégate le 14 août 1866. Contre-amiral le 4 novembre 1884.

[12] Arzew, est un port et une commune d’Algérie de la région d’Oran.

[13]Frégate de 52 canons (1846-1891). (Dans ces pages ; les détails sur les bâtiments de guerre sont tirés du « Dictionnaire de la flotte de guerre française de Colbert à nos jours » du Capitaine de frégate Jean-Michel Roche.)

Épisodes précédents : premier voyage                                1er extrait du 2e voyage

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2 réponses à Le second voyage de Charles Antoine sur la Sibylle – 1864-65 – Introduction et Historique

  1. CARRIERE Jean dit :

    Dommage même pas un mot pour l’auteur des notes de bas de page…
    J’aurais bien aimé le connaitre…

    • agm dit :

      Bonjour,

      Peut-être le connaissez-vous ? Je reproduis ici le journal que l’on m’a confié pour mettre en ligne. J’essaie toujours de mettre l’origine de ce que je publie.
      J’ai mis en lien la source de l’historique de la Sibylle que j’ai retrouvée en recherchant sur Internet, à savoir celle du site de Bernard Guinard. Mais il n’y avait rien de plus. Si vous avez le nom, n’hésitez pas à me le donner. J’ai toujours à cœur de rendre à César ce qui lui appartient…

      Anne-Geneviève Martin

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